Wednesday 25 May 2016

Il y a des quiproquo qui ont la vie dure, sur le Moyen Âge et sur l'Ancien Régime.


1) New blog on the kid : Il y a des quiproquo qui ont la vie dure, sur le Moyen Âge et sur l'Ancien Régime. · 2) HGL's F.B. writings : Chrétienté, clergé, abus, cathares, vassaux - un débat

Par exemple, il y a le quiproquo que le peuple n'apprenait rien, que "l'éducation" était strictement réservé à une élite.

On connaît mal les Ursulines, qui donnaient gratuitement un enseignement scolaire aux pauvres, soutenues par Madame de Maintenon, la deuxième épouse de Louis XIV. Ou les écoles de dessin, très utiles pour des futures artisans maîtres, gratuits sur l'initiative de Louis XVI. Opposées par les intérêts des maîtres en place, dénoncées comme gaspillage royal, réalisées à seul Paris.

Ou l'âge. Je viens de lire un nécrologue pour Laon, avec 80 décès. Le plus jeune, 31 ans. La plus vieille, 99 ans. Les quartiles étants 64/65 pour le bas, 79 au milieu, 87/88 en haut. Ce que j'ai vu pour moyen âge et l'ancien régime donne l'impression qu'alors chaque quartile avait une valeur une quartile plus basse: la moyenne comme la basse quartile de Laon, la haute comme la moyenne de Laon, le maximum vacillant entre haute quartile et maximum de Laon. Sauf les royautés du Moyen Âge qui mourraient plus jeunes encore un peu, quartile moyenne 56, comme Débussy. Je viens d'entendre un prétentieux (un travailleur social qui me prenait pour l'équivalent d'un cas, ça aide à devenir prétentieux pour l'occasion) qui parlait comme si 30 ans était un âge de décès tout à fait normale au Moyen Âge, mais pas plus que ce ne l'est maintenant quand Jérémy BERKANE est noté comme décédé à 31 ans.

Quand Dante décrit une occasion quand il avait 35 ans, il la décrit comme Nel mezzo del cammin' di nostra vita. Il se considérait comme pouvoir espérer un décès à 70 ans. Optimiste? De 6 ans, environ. Mais pas de 40 ans. Lui-même, "né entre la mi-mai et la mi-juin 1265 à Florence et mort le 14 septembre 1321 à Ravenne" (merci, la wiki!) a vécu 56 ans, comme Débussy.

Mais, le plus embêtant est à peu près ceci: on prétend que le latin fut choisi comme langue du clergé et du culte parce que, prétend-on, inaccessible au peuple. Hier j'essayais à répondre à un protestant quelque peu illuminé, qui ne me laissait pas vraiment la parole.

J'allais lui dire que jusqu'à 800, le latin liturgique en France était prononcé de manière d'être intelligible par le peuple. Cet an là, environ, on change la prononciation de manière que le latin soit intelligible par le clergé d'ailleurs. Il se jeta sur le mot clergé, comme si j'avais dit "pour le clergé plutôt que pour le peuple". Ce n'est pas l'histoire.

Essayons de détailler l'histoire un peu plus commodement pour les chers lecteurs. J'avais comparé l'état avant l'an 800 à celui du slavon liturgique. Mon interlocuteur ne connaissait pas. Il n'était pas un grand linguiste, parait-il, car il imaginait pouvoir se prononcer avec certitude sur le mot Hébreu traduit par "adorer" en Deutéronome 5:8-9 simplement en jetant un œil dans le lexique de Strong sur la racine. Il en avait conclu que chaque genre de culte d'images était interdit, je conclus moi-même qu'il n'était pas un grand hébraïste. Moi d'ailleurs non plus, mais j'ai confiance en les LXX qui ont traduit οὐ προσκυνήσεις αὐτοῖς οὐδὲ μὴ λατρεύσῃς αὐτοῖς. Et je sais que proskyneuein est un verbe désignant une prostration d'adoration et latreuein est le verbe retenu par le Concile de Nicée II pour désigner l'adoration, réservée à Dieu seul. Lui, il se considérait habilité à faire confiance à son non'expertise de l'Hébreu, pour conclure contre la traduction de l'église.

Or, si ceci est grave, du point de vue théologique, ce qu'il pensait sur le Moyen Âge et ce qui se passait réellement autour de 800 et 813 en France, ça représente une lacune de culture générale. Et il n'est pas le premier.

Parlons un peu du slavon. Je ne maîtrise pas cette langue. Mais je sais que le slavon est une même langue écrite à travers le monde Orthodoxe et Unié de certains pays de l'Est. Par contre, les prêtres bulgares le prononcent de manière bulgare, les prêtres serbes de manière serbe, les prêtres ukrainiens et rousines de manière ruthène, les prêtres russes de manière russe. En Roumanie avant le 16:ème Siècle (désormais ils utilisent le roumain du 16:ème Siècle, comme les Anglicanes utilisent l'anglais de 1611 et de 1549), là seulement, le slavon se prononçait d'une manière très proche des lettres, puisque la langue du peuple ne donnait pas une prononciation alternative aux mots.

Bon, tel était le cas pour le latin environ 800 aussi. Le latin en France est un latin proche de la prononciation populaire. C'est pour ça que les latinistes de nos jours ont mal à comprendre Grégoire de Tours et Frédégaire de Tours, puisque leurs chroniques font le texte quasiment à l'oreille, selon la grammaire populaire, sans de tenir trop compte de la grammaire latine.

Le premier verset de la Bible en latin s'écrit:

In principio creavit Deus caelum et terram.

Entre Alcuin en 800 et St Nicolas du Chardonnet à nos jours, on le prononce à peu près:

ine prine-TCHI-pi-o cré-A-vite DÉH-ous TCHÊ-loume ette TERRE-rame

Variante, surtout en France et Allemagne TS au lieu de TCH pour le C avant voyelle palatale.

Avant Alcuin, j'exaggère peut-être un peu - j'y reviens - la prononciation était une prononciation du pays, comme pour le slavon.

hein prein-TSÎ-peu cré-A'T DIEUWS TSIEL ette TERRE-reu

Cette latinité était bien compréhensible pour le peuple. On devait peut-être demander "hein prein-TSÎ-peu, ts'ESTE KEI?" ("en principe, c'est quoi?"), mais le reste était compréhensible, on savait que dire "lou TSIEL" et "la TERRE-reu" ne se faisait pas dans la liturgie.

Or, quand du clergé d'ailleurs venait pour visiter, parfois ils avaient très mal à comprendre ce latin. Un homme se demanda si on avait baptisé en prononçant "et [de la] fille" plutôt que "et [du] Fils", puisque justement en France, Filii et "filiae" se prononçaient pareil.

Et du clergé en visite, ça existait. J'imagine que les Pentécôtistes ont leur clergé (sans ordination sacerdotale) souvent en visite des pays anglophones.

Or, à cette époque là, on demanda aussi l'aide d'un anglophone. Son latin était lettre par lettre, parce que pas contaminé par son anglais. Il s'appelait Alcuin et venait de York.

Quand il avait fait son œuvre, environ 800, le clergé d'Angleterre, d'Espagne, d'Italie et ainsi de suite pouvait encore une fois comprendre le latin du France, les seuls qui ne le pouvaient plus, c'étaient les français.

Et en l'an précis 813, on décide de les dédommager pour l'Évangile devenu incompréhensible en ajoutant un sermon en langue populaire. Après l'Évangile. À la fois traduction ou paraphrase du texte biblique et explication des choses qui pouvaient devoir être expliqués.

Cette histoire est aussi très instructive pour ceux qui imaginent que l'Église primitive avait obligatoirement un sermon en chaque culte de dimanche. On pouvait l'avoir, on pouvait ne pas l'avoir. Uniquement à partir de 813 il devient obligatoire en France - comme il avait certes été en Angleterre déjà avant.

Le latin avait été choisi environ 400 ans avant en faveur du grec, pour la compréhension du peuple, quand le grec cessait d'être compris en Occident (par contre à cette époque en Orient, le grec avait une allure carrément de langue liturgique, diverse de celle du peuple dans le quottidien), et la compréhension, pas l'occultation à été au centre des intentions en 800 et 813 aussi.

Mon interlocuteur d'hier était en plus un mauvais Bibliste.

Quand je lui avais dit que sur l'Aréopage St Paul n'avait pas dédaigné de parler de manière compréhensible pour les philosophes d'Athènes, il avait dit que là il avait dit qu'il préférait une langue intelligible.

Il me semble que mon interlocuteur avait confondu avec le texte dans les Corinthiens à propos la glossolalie : elle était restreinte à un ou deux (comme après le lecteur lit l'épître en latin et le prêtre ou diacre l'évangile en latin) et devait être traduite (comme après le prêtre traduit le latin de l'Évangile dans la langue rustique romane du sermon).

En plus, son critère, tel qu'il me le citait mal hier, n'aurait pas joué en faveur du français en 800 ou 813. Le français n'existait pas encore. Le Provençal et le français commencent à prendre existance quand le clergé commence à manier la langue rustique romane. Ce qui existait avant, c'étaient DES patois, pas UNE langue vulgaire. Un homme de Paris ne pouvait pas comprendre un homme de Marseille et à peine (ou après avoir fait la connaissance du Picard quelque temps) un homme de Beauvais. Le latin avait les mêmes avantages sur les patois en 800 et 813 que le français avait sur les patois en 1789.

D'ailleurs, la fameuse Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 était précisément comme le Concile de Tours en 813 une décision d'utiliser le patois dans un contexte locale, le sermon du curé pour l'un et les procès devant le juge pour l'autre.

Ni l'une, ni l'autre exigeaient qu'il existe pour de vrai une langue française, comme à partir de l'Académie française. Mais il y avait vraiment davantage d'existance d'une langue à la fois "vulgaire" car non le latin et cultivé au delà du patois en 1539 qu'en 813.

Je viens de dire que j'exaggérais peut-être un peu sur la prononciation latine d'avant 800.

À en juger des Serments de Strasbourg, la langue populaire pouvait être un tantinnet plus proche de l'espagnol même en France, et peut-être ceci surtout dans la liturgie.

Hein prein-TSÎ-pyou cré-A-veute DIEUWS TSIEL ette TERRE-reu?

Un peu davantage de voyelle finales prononcées.

« Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit. »

On se demande* si le réflexe du latin "damnum" était déjà "DAME-neu" ou encore peut-être "DAME-nou". Ainsi que pour "poblo".

On sait juste que ce que ces Serments écrivaient "damno" et "poblo" était ce qui était avant Alcuin, avant 800, la prononciation on ne peut plus correcte en France de l'écrit "damnum" et "populum" en accusatif ainsi que de "damno" et "populo" en ablatif et datif. La raison pourquoi Grégoire et Frédégaire de Tours utilisent les cas latins au singulier sans les bien distinguer.

Et de se dire après ceci "l'église catholique a décidé pour le latin plutôt que pour le français, pour que le peuple ne comprenne rien", c'est vraiment de montrer un maximum de barbarie et de manque de culture.

Hans Georg Lundahl
BU de Nanterre
Sépulture** de Pape St Grégoire VII
à Salerne
25.V.2016

PS: j'avais presque oublié que l'homme citait les Universités où on "apprenait le latin". En fait, on devait avoir appris la latin avant d'aller à l'université. Ensuite, pas mal allaient quelques ans à l'université sans de devenir du vrai clergé. Certains devenaient des "clerici vagantes", souvent sans ordination, mais avec un savoir théologique et en culture générale. Pour ce qui est du latin liturgique, la décision était déjà prise à leur époque, car ...

L’université de Paris, par métonymie la Sorbonne, était l’une des plus importantes et des plus anciennes universités médiévales. Apparue dès le milieu du XIIe siècle, elle est reconnue par le roi Philippe Auguste en 1200 et par le pape Innocent III en 1215.


En plus, l'université était beaucoup plus démocratique à ses débuts qu'après. Avant le collège de la Sorbonne qui loge et nourrit des étudiants, ils se nourrissaient souvent en faisant la quête pendant les semestres. Encore aux temps de St Ignace de Loyola, pas sur collège Sorbonne, mais cet autre collège, Sainte Barbe, quand le recrutement était beaucoup plus restreint, lui et les autres ayant fait les vœux de Montmartre doivent faire la quête entre les semestres, pour financier les études./HGL

PPS: je voulais dire que les cas datif, ablatif et accusatif, Grégoire de Tours ne les distingue pas. Le nominatif est autre chose, il le distingue nettement des autres. Comme le faisait la langue populaire encore quelques siècles après, aux débuts de la Sorbonne, mais parmi les poëtes chevaleresques plutôt que les universitaires, ceux-ci préférant le latin. Quand même, 1200 est 400 ans après 800./HGL

* Et si "adiuta" du latin presque correct se prononçait "a-YOU-dheu" presque comme en espagnol de nos jours, ou "AÏ-you-dheu", un peu plus proche du mot "aide". ** J'imagine que c'est le sens de "depositio", autrement je suis un pire latiniste que j'espérais. Salerni depositio beati Gregorii Septimi, Papae et Confessoris, ecclesiasticae libertatis propugnatoris ac defensoris acerrimi.

No comments:

Post a Comment