Friday, 18 October 2024

Que dire de Kol Nidré ?


Quand j'avais plus que trente ans, j'ai lu le livre de Pranaitis. Accessible, au moins à l'époque, sur Internet. Dans le procès de Beiliss, il s'est prouvé incompétent, et certains imaginent peut-être que ça prouve que tout ce qu'il disait sur les Juifs était préjugés saupoudrés de faux. Je pense plutôt que ça se peut qu'il ait fait exprès de se montrer incompétent, pour sauver la vie de Beiliss. Il a pu gagner ses connaissances sur les Juifs en faisant d'abord une promesse à un rabbin de ne jamais l'utiliser pour porter préjugé contre un Juif. Supposons ceci, Beiliss n'était pas la communauté, et il était par contre un Juif, et Pranaitis n'avait pas célébré Kol Nidré après quelle que soit la promesse qu'il ait pu faire à qui que ce soit.

J'ai entendu l'autre jour un homme, qui fait Religion for Breakfast, se prononcer sur la cérémonie de Yom Kippur. Dans cette fête, ultra-sérieuse, parfois décrite comme répétition générale pour le moment de la mort, la première cérémonie est Kol Nidré.

Et, comme l'avait dit Pranaitis, sans en expliquer les contextes, peut-être parce qu'il n'en avait pas compris, peut-être parce qu'il voulait mettre en garde les Chrétiens dans une situation où les relations étaient beaucoup plus tendues qu'ici et maintenant en France en 2024, pour lesquel ne pas compter sur le Kol Nidré pouvait être dangereux, comme il l'avait dit, donc, le Kol Nidré absout toute obligation envers toute promesse faite pendant l'année passée. Notons. Pas toute promesse envers un Chrétien. Toute promesse, tout court. Y compris envers un autre Juif, y compris envers un très bon ami.

J'imagine que parfois les Juifs utilisent les Kol Nidré pour renégocier les contrats entre eux, y compris les contrats tacites ou par promesse orale. Et j'imagine que parfois c'est utile.

Si l'Église catholique ne pensait pas que ça puisse être utile, elle n'aurait pas institué les dispenses. Il y a des dispenses pour obligations de promesses, il y a des dispenses pour autres obligations, comme une femme battue peut être dispensée de vivre avec son mari, ou un homme souffrant de quelque maladie est automatiquement dispensé des jeunes (notons, Yom Kippur étant ce que les Juifs appellent une "pleine jeune", il faut préciser que les jeunes catholiques sont ce qu'ils appeleraient des démi-jeunes). Par exemple, on a promis d'entrer en monastère, mais on n'est pas reçu dans un monastère, ça donne pas automatiquement un devoir de chercher monastère après monastère et ensuite faire une vie à la St. Benoit-Joseph Labre, et ce n'est pas par un tel sens d'obligation que je reste dans la rue, j'y reste simplement faute de mieux, faute d'un éditeur, donc d'un revenu stable, donc d'un appartement sur le marché libre, ainsi que faute d'une femme qui voudrait partager d'abord ma vie avant d'avoir un appartement. Si on échoue deux fois d'une promesse qui comprend le monastère, on en a une dispensation automatique. Si on entre en monastère et fait une année de noviciat, si on ne veut pas, on a aussi une dispense automatique. Par contre, si on avait promis d'entrer un monastère, si on est reçu, et après deux mois, on est sûr qu'on préfère se marier, faudra convaincre quelqu'un d'autre aussi, parce qu'alors il faudra une dispense.

La raison pour laquelle nous n'avons pas de Kol Nidré, dispense généralisée, c'est que nous avons les dispenses, certaines automatiques, certaines d'autres nécessitant l'intervention d'un supérieur. Comme, au cas limite, le pape. Pour certaines promesses, il n'y a pas de dispense, comme par exemple un mariage valide (hormis la mort du conjoint, non causée par un-même ou par quelqu'un désirant épouser la veuve ou le veuf), ou les vœux solennels éternels. Par contre, pour les promesses en politique, il y a parfois même des dispenses automatiques. Il y a eu des Protestants qui se sont offusqués autant de ceci (et qui l'ont mal appliqué, par exemple aux conditions de Boston* du XIX siècle. On peut décrire ceci comme "la promesse fait à un hérétique n'est pas valide" ... mais ce serait un peu mal interpréter Cum Ex Apostolatus Officio. À cette époque, dans la Chrétienté, royaumes comme l'Église, la soumission sous un supérieur, qu'il soit pape ou roi, passait par des promesses. La bulle en question précisait que chaque hérétique promu en supérieur était invalidamment promu, et déliait retrospectivement les fidèles des promesses de fidélité. Pour l'Église, ça reste le cas qu'un hérétique n'a pas le droit légal d'être élu. D'où l'impportance pour le débat sédévacantiste. Pour Boston, Massachusetts, et pour toute la Colonie de Mayflower, ça n'avait jamais été une condition pour devenir magistrat d'être Catholiques, et les Catholiques faisant allégiance à la ville ou l'État, par exemple en devenant policiers, en devaient prendre compte, certes pas pour conclure que les obligations envers Boston étaient nulles, mais au contraire pour conclure que tant qu'il était possible pour les Catholiques d'y vivre en paix, et même dans le cas contraire parfois, sauf en aide active à une persécution, ils devaient rester fidèles à leurs obligations.

Je ne recommande pas à tout Chrétien de s'abstenir d'amitiés juives, je recommande plutôt à un Chrétien qui en a à faire de prendre en compte le Kol Nidré.

Il y a des promesses moins sollenelles que les états de vie ou les loyautés politiques. Y compris des promesses pour ce qu'on veut faire pour quelqu'un en difficulté. Pourrais-je demander à des Juifs qui se sentent concernés par moi, et qui ont récemment célébré le Kol Nidré, pendant le Yom Kippur, s'ils ont par exemple promis de me regarder et protéger, y compris contre mes propres décisions, comme si j'étais un orphelin ? Ou d'agir comme si j'étais sous un Atropos, simplement de ne pas renouveler cette promesse, de la considérer comme annulée par leur Kol Nidré ?

En même temps, il y a une religion où la déliance de promesses devenues mauvaises est soumises à davantage qu'un Kol Nidré, à savoir à des régles de l'Église ou la dispense active d'un supérieur. Je veux dire la religion catholique. Juste un petit truc à refléchir ... qu'ils se sentent donc aussi déliés de toute promesse de me faire un Juif. Ou promesses de me faire autre choses que Catholique.

Hans Georg Lundahl
Paris
St. Luc Évangéliste
18.X.2024

* Boston, Massachusetts, pas le Boston original, en Lincolnshire, deux villes avec le même nom.

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