Sunday 21 September 2014

Si Tolkien est de la grande litérature ou non


Je viens d'avoir ce dimanche et Jour de St Mathieu Apôtre et Évangéliste une bonne surprise, que mon application pour être membre des forum de Tolkien francophones a été validée, et aussi une mauvaise surprise.

Je me viens sur un des forums dans ce forum, je trouve une question à laquelle j'ai une bonne réponse. Je l'écris. Ensuite il m'est impossible de l'envoyer. Je réessaie. Cette fois ci je note que d'abord je dois me reconnecter, et ensuite quand je l'ai fait, seule la citation reste dans la boîte de rédaction, ma réponse sur laquelle j'avais dépensé dix minutes ou davantage est perdue. Je flaire donc un sabotage de la part des administarteurs des ordinateurs de cette bibliothèque - il s'agit de Georges Pompidou, rue de Renard. Je flaire aussi derrière une intrigue mise en place par une présence psychiatrique sournoise. Donc, pas beaucoup de peine de me plaindre. Avec des tels incitations à la malfaisance, ils peuvent se moquer de chaque plainte. Et quand à la réponse violente, il me semble que c'est pour ça qu'ils me provoquent.

Retournons donc à ce que j'allais écrire au propos. Une lectrice de Tolkien avait parlé avec sa mère sur sa lecture favorie, la mère avait dit que Tolkien ce n'était pas de la grande litérature. Et la mère n'était pas arrivée à définir à la satisfaction de sa fille ce qu'était la grande littérature.

Bon, j'avais divisé la citation du premier message de ce fil de discussion en ces deux morceaux. Après la question si Tolkien était de la grande litérature j'avais mis le constat que je ne voyais pas l'interêt de la question.

Et voici pourquoi.

Je veux apprendre une chose utile, je ne vais pas à la grande litérature. Je vais à un livre d'instruction. Si par exemple je veux apprendre un nœud qui est utile ou décoratif - ou les deux comme les cordes de sisal en nœuds décoratifs utilisées pour réparer mes shorts - je vais à un livre d'instruction dans la domaine des nœuds. Soit nœuds de marins, soit nœuds de scouts, soit macramé. Et ces livres d'instruction ne sont pas précisément ce qu'on appelle de la grande litérature. Ils font parfois appel aux images pour compenser les défaillances des mots dans la description du nouage d'un nœud. Et ils sont concentrés sur un seul thème et celui très prosaïque.*

Je veux me perfectionner comme Chrétien, dans la docrine je vais à St Thomas d'Aquin, dans la dévotion je vais à St François de Sales. Peu m'importe que l'un soit ou non de la grande litérature. Saint François de Sales y compte, Saint Thomas d'Aquin n'y compte pas. Mais pour le Chrétien les deux valent mieux que de la "grande litérature" comme les Pensées de Pascal, inférieur en doctrine comme en piété aux deux saints et en plus non canonisé. Donc, ce n'est pas non plus un but religieux qui justifie la récherche de la "grande litérature" en tant que telle, plutôt que simplement la litérature qui plaît.

Et pour le patriote, le but atteint avec Péguy n'est pas différent du but atteint avec Le Tour de France de ces deux compagnons de devoir qui se réfugient de l'Alsace occupée en 1870. Le patriote demande pas de la grande litérature en tant que telle, ni qu'elle ne soit pas grande, il demande une litérature qui chauffe le patriotisme.

Donc, la récherche de la grande litérature ne parait ni le moyen adapté pour les buts utilitaires, ni pour les grands buts idéalistes que sont la religion et le patriotisme. On se demande vraiment à quoi sert "la grande litérature".

On peut dire de telle ou telle litérature qu'elle est grande, parce qu'elle contient beaucoup de livres, et là, c'est bien d'avoir une grande litérature dans sa langue ou d'apprendre une langue qui en a si on aime bouquiner. On peut aussi parler d'une grande litérature en termes d'une litérature qui a au moins un, peut-être plusieurs classiques. Un classique étant un livre qui a réussi à plaire des lecteurs de différents siècles - et je dirais de différents siècles prémodernes. Dans ce sens, la litérature française peut être grande à cause de Racine, Corneille et Molière mais pas à cause de Camus, la litérature anglaise à cause de Chaucer et Shakspear, mais pas à cause du Seigneur des Anneux - car les romans de Camus et le Seigneur des Anneaux sont trop récents. Il y a la question si la Chanson de Roland et Beowulf peuvent être invoqués comme classiques. Ils ont été lus par leurs siècles - par un nombre restreint de lecteurs. Et ils ont été relus par des spécialistes de la philologie médiévale depuis.** Mais, en tant que quelque chose qui s'approche du classique, ils ont au moins ça que d'avoir plu à au moins deux siècles différents. La Peste, peut-être même Madame Bovary, comme Seigneur des Anneaux n'ont pas encore été relus en suffisemment de cultures chronologiques successives de leurs langues pour être des Classiques. Ce qui n'implique biensûr pas qu'on ne doive pas le lire. Si personne n'avait jamais lu un nouveau livre, personne n'aurait lu les classiques quand ils étaient nouveaux. Position évidemment absurde.***

Donc, on comprend très bien pourquoi la mère de cette fille n'est pas arrivée à définir conceptuellement de manière cohérente quelle est la "grande litérature" et pourquoi Madame Bovary y appartient et Seigneur des Anneaux n'y appartient pas.

C. S. Lewis - ami de Tolkien, lui-même aussi auteur de fantasy - vient d'écrire un essai dans lequel il constate qu'un bibliothèque qu'il connaissait classait les livres en deux catégories - biensûr les livres d'isntruction mis à part de ça - à savoir "livres" et "bons livres". Il ne s'agissait pas de la morale. Lady Chatterley's Lover par D. H. Lawrence était parmi les "bons livres". Il ne s'agissait pas non plus de classique vs modernes, si j'ai déjà évoqué Lady Chatterley's Lover, il y avait aussi The Waste Land par T. S. Eliot. Par contre, les vieux livres, classiques ou non, Shakespear ou pures médiocrités parmi ses contemporains, comme Samson Agonistes° (qu'il jugeait vastement inférieur à Paradise Lost par le même auteur, Milton) étaient là, dans la catégorie "bons livres". Il se posait la question, quelle est la qualité que certains livres ont tout de suite, d'autres acquièrent automatiquement par le passage du temps. Et il répondit : la difficulté.

Or, la difficulté n'est pas une vertu chez un livre. Le lecteur qui est capable à lire des livres simples et difficiles est biensûr mieux dôté que celui qui ne peut que lire les livres simples. Par ce qu'il communie avec davantage d'auteurs. Mais l'auteur est par contre mieux doté qui réussit à rendre ce qu'il écrit simple - par ce qu'il communie avec davantage de lecteurs. Donc, à part certaines étapes d'apprentissage, dans lesquelles on prend un livre difficile ou posant une certaine difficulté (comme d'être de tel autre siècle, comme d'avoir tels autres idéaux dans la pensée, tels autres mots et telles autres formes) et ces étapes ci en but d'acquerir la capacité plus large de lecture, un lecteur n'a pas de raison de préférer un livre à un autre parce qu'il est plus difficile. Ni d'avoir honte de lire un livre plus simple.

Dans un autre essai, C. S. Lewis parle du projet de gouverner par le fait d'enseigner la "sensibilité artistique" et de promouvoir ceux qui par exemple apprécient The Waste Land, en condamnant les autres à d'être en dehors les secteurs ou les enjeux de la culture ou de la politique se jouent. Il déplore ce projet.

Il y a, pourtant, donc, un but précis, pour lequel il est utile de choisir ce que cette bibliothèque naïvement pédagogique appelait les "bons livres" en préférence à ce qu'elle appelait des "livres": ce but là est l'ambition, et ça précisément dans un contexte ou une certaine élite politique ou économique cherche une hégémonie culturelle en se définissant, pas en fonction de leurs positions, ce qui laisserait chacun libre à poursuivre ses propres goûts, mais en fonction de leur "sensibilité litéraire", ce qui demande un goût uniformisé.

Dans un tel but d'ambition, en pays anglophones Tolkien est devenu trop indispensable pour que cette élite s'en passe, en pays francophones ce n'est pas le cas.°°

Pour revenir aux livres de doctrine ou de dévotion - il peut être un péché d'omission de lire un livre divertissant au lieu de prier ou de travailler. Mais ceci dépend du niveau d'ambition spirituel qu'on a. Il est certainement un péché de s'adapter comme si c'était pour plaire à Dieu, avec une adaptation à des telles élites. Échanger Tolkien pour encore un rosaire par jour, c'est vertueux, si on y ressent une vocation - d'ailleurs quand je priais cinq mystères par jour je n'écartais pas Tolkien. Mais échanger Tolkien pour Madame Bovary parce que c'est de la "grande litérature" donc parce que ça montre de la "sensibilité" telle que requise par cette élite, non, franchément, ça n'est pas un acte vertueux.

Je viens d'évoquer l'essai dans lequel CSL comparait Samson Agonistes à The Waste Land. Il y faisait encore un constat.

Les vieux livres qui sont restés largément lus ont eu un de trois atouts: ils ont été vastement amusants, ou dévôts, ou patriotiques. Donc, un livre qui déjà au début est difficile, sans être suffisemment dévôt ou patriotique pour que des dévôts ou patriotes le lisent, ce n'est pas un livre qui a des chances à survivre mieux que Samson Agonistes parmi le lectorat anglais. Donc, les vraisemblables futurs classiques du XX S. seraient plutôt Buchan (romans policiers) ou Woodehouse (comédies aimables) que D. H. Lawrence ou T. S. Eliot. Par modestie il ne faisait pas de prophétie sur Narnia par lui-même ou Seigneur des Anneaux par Tolkien, mais s'il l'avait fait, elle aurait jusqu'à présent été pleinement justifiée.

La raison pourquoi Madame Bovary est devenu un roman relu après plus d'un siècle doit donc aussi être que le roman a amusé à son époque. Malheureusement, il a amusé à peu près dans le même style que les romans par Dan Brown - ou comme da Vinci Code, plus précisément. Une nana un peu naïve mais attractive trouve une compagnie qui élargit ses vues. En plus, dans les deux oeuvres, il y a de la pornographie. Ce qui n'est pas le cas avec Narnia ou le Seigneur des Anneaux.

Si on peut dire que Madame Bovary est de la grande litérature, on peut le dire pour l'œuvre de Tolkien aussi - mais pas au jugement des mêmes lecteurs. Il y a un tribu qui met Madame Bovary au dessus de Silmarillion. Moi, je n'ai jamais lu Madame Bovary, et j'ai lu quelques fois en entier Silmarillion, et dix fois Le Seigneur des Anneaux en anglais (qui n'est pas ma langue non plus que le français). Je n'appartiens donc pas à la tribu de Flaubert. Notons aussi que dans les deux œuvres le suicide a une place très différente. Celui de Denethor met en garde contre l'aveuglement qui vient avec les grandes ambitions - sans que le lecteur ait d'abord été amené à intimement partager celles de cet homme purement politique, cet homme pour qui la défaite ou la victoire dans ce monde se jouaient avec quasiment la certitude de la foi - sauf que c'était celle de l'infidélité. Cet homme pour qui, comme pour Macbeth, comptait seulement ce monde.

Hans Georg Lundahl
Bpi, Georges Pompidou
Dimanche et St Mathieu
21-IX-2014

* Ce qui ne veut pas dire qu'un livre écrit dans une langue qui se suffit sans les illustrations et qui porte sur une diversité de thèmes ou sur un thème élévé soit de la suite ce qu'on appelle dans ce contexte assez arbitraire de la "grande litérature"! Si c'était le cas, ça serait déjà prouvé et hors contestation que Tolkien en fasse partie.

** Et par des non-spécialistes que les spécialistes ont réussi à enthousiasmer.

*** Car ça les aurait empêché de devenir classiques.

° Je manque à quelques étapes logiques. Shakespear avait des contemporains que CSL jugeait médiocres, comme Ben Johnson. Milton et son Paradis Perdu avait un médiocre contemporain dans Samson Agonistes par le même Milton.

°° Années 80, Tolkien était encore honni par cette élite. Après, ils ont fait, en pays anglophones, demitour selon l'adage "if you can't beat them, join them".

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