Friday 15 August 2014

Les sociologies de Tolkien et d'Asimov

On ne peut pas nier que dans deux œuvres une composante d'observations d'ordre sociologique dans le monde fictif joue un rôle non négligeable. Dans le Cycle de la Fondation, par Asimov. Dans le Silarillion, Le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux, par Tolkien.

Pourtant, les œuvres sont très différentes et leurs genre d'observations d'ordre sociologique aussi.

Si Tolkien est plutôt moraliste classique, presque ouvertement* Chrétien (il était aussi Catholique), Asimov est souvent métamoraliste, assez ouvertement libre-penseur et athée. Si Tolkien croit le libre arbitre, Asimov s'annonce quasiment comme déterministe avec son psychohistoire.

Un savant, Hari Seldon, invente une nouvelle science, la psychohistoire, fondée sur la loi des grands nombres et le calcul des probabilités qui permet de « prévoir l'avenir », ou, plus exactement, de calculer les probabilités de différents avenirs.


Quand Hari Seldon peut prétendre à untel qui le prend en captivité qu'il y avait "98% de probabilité que vous alliez le faire juste maintenant", il y a très ouvertement un déterminisme, dont les 2% de probabilité contraire ne sont qu'un doute résiduel, dû à l'incertitude et l'incomplétude des observations humaines.

Chez Tolkien on sent que Gollum aurait tout juste pu se convertir en meilleur (sinon en directement bon), s'il n'avait pas été provoqué cette fois de trop par Sam Gamgee, pourtant un homme (ou hobbit) intègre et bienveillant (mais pas forcément envers Gollum), ou s'il n'y avait pas eu l'occasion quand Frodon le semble trahir aux Rôdeurs d'Ithilien, avec Faramir à Henneth Annûn, chez qui et où il était invité. Et on sent que Boromir a pu se convertir et a pu faire sa dernière défense héroïque en pénitence. C'est un univers où il y a le libre arbitre, ou il y a la conversion. C'est aussi un univers dans lequel intervient la Providence, plus qu'une fois, de manière de ne pas être manquable au lecteur, ni aux acteurs principalement au courant.

Rien de tel chez Asimov. Chez lui, l'homme apparaît comme une machine, la société comme un rouage, une horlogerie. Les conflits apparaissent comme des "thèses et antithèses" d'une dialectique - et la succession d'états de société comme parfois une forme de calque sur les plus simplistes thèses sur l'émergence du Moyen Âge (en tant que l'âge obscur), là où dégringolade administratif va main en main avec "dégringolade des lumières" - il aurait facilement pu être un adepte du film Agora. La seule providence est celle des esprits éclairés face à la barbarie, et elle est insuffisente, ou encore celle des circonstances très prévisibles, très dans la ligne des analyses des historiens (ou de ceux que semble avoir consulté Asimov).

Constat qui nous ramène à un constat plus profond, une analyse palpable, une conclusion plutôt qu'un fait: ni Asimov, ni Tolkien n'ont pensé leurs respectives sociologies dans le vide. Asimov a lu pas mal d'analyses par des penseurs modernes. Tolkien a lu pas mal de chroniques, ou des poëmes, il a été amené a repenser ce qu'il avait éventuellement appris de ce genre là d'analyses historiques.

Je ne vais pas cacher à mes lecteurs que j'ai un biais dedans. Tolkien a été comme un père pour moi, comme aussi certains d'autres de mes auteurs favoris. J'en connais pas juste les romans, en très grande partie, mais aussi les lettres et le peu qu'il a publié en essais. Et en plus pas mal sa biographie, d'après Humphrey Carpenter.

De l'autre, d'Asimov, j'ai lu une partie du début du Cycle de la Fondation. J'ai été fatigué par l'insignifiance des personnes et de leurs vies, et de la pure suite d'états de société, à peine jolifié par des tabliaux avec des personnes qui ne sont là que pour illustrer un point, dont presque chacune et davantage une abstraction, un charactère, qu'une personne avec son vécu propre. Si on veut comparer Hari Seldon à Saroumane on peut aussi dire que Tolkien a quelque peu maltraité Saroumane parce qu'il trouvait son charactère antipathique - chez Asimov Hari Seldon n'est pas davantage humain (malgré le fait d'être un homme, tandis que Saroumane est plutôt "être angélique incarné pour une bonne cause et déchue de cette cause), même un peu moins, et il est quand même plutôt un des héros, ayant une importance comparable a Gandalf. Et les personnes antipathiques pour Asimov sont d'une simplicité comme chez Tolkien un Shagrath.** Donc, non, en observation de l'âme humaine, Asimov est très inférieur à Tolkien. Comme le sont, j'imagine, en général les lecteurs avides et confiants d'analyses modernes aux lecteurs avides et confiants de chroniques ou de poëmes médiévaux. J'ai donc été fatigué et j'ai laissé tomber Asimov, et de suite j'ai répéré quelques choses sur la wikipédie. Tellement ma connaissance des deux auteurs est inégale. Tout comme mon estime.

Convenons, que la sociologie n'est pas le seul domaine dans lequel ces deux approches différents pourraient se faire sentir. Il y a des gens pour qui la factualité derrière les divers versions bibliques et non du Déluge ne font davantage doute qu'une observation chrétienne chez Tolkien. Et il y en a chez qui l'analyse des savants sur l'affaire ou la théorie Bible - Babel (Bible issue largément selon ces savants de la mythologie babylonienne) ne font plus de doute qu'un schéma sociologique-historique chez Asimov. Les deux cultures ne sont pas un mythe, ça existe. Le fait que je n'ai pas eu la paix de relire Le Seigneur des Anneaux depuis mon arrivé en France, et que j'ai eu une occasion de lire Cycle de Fondation (occasion comme dit non prise), me disent un peu sur le fait laquelle entre les deux cultures a dominé, sinon la France en elle-même, au moins les circonstances de mon séjour.

Hans Georg Lundahl
Bpi, Georges Pompidou
Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie
au Ciel, Corps et Âme
15-VIII-2014

La citation sur Hari Seldon provient de l'article:

Wikipédie : Isaac Asimov
http://fr.wikipedia.org/wiki/Isaac_Asimov


Autres notes:

* Les romans étant placés dans un milieu d'espace Eurasio-Africain (avec parfois une Atlantide et un Tir nan Og en plus, sans oublier des côtes sumergés entre une étape et une autre) et dans un milieu de temps fictif, datable comme plus vieille que la création biblique, il est naturel que les gens ne sont pas encore censés connaître le nom de Notre Seigneur, ni même celui de Moïse ou d'Israël.

** Il y a au moins une vingtaine de personnages plus importants que Shagrath dans le seul roman Seigneur des Anneaux. Et donc plus étoffés en personalité.

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