Mais aujourd'hui, c'est sur mon blog général, c'est à dire ici**. Hier soir j'ai fait la queue pour un café pour les sans-abris, et on a évoqué l'évêque qui avait trouvé Esmeralda satanique parce qu'il voulait l'avoir et parce qu'il ne pouvait pas l'avoir. Ça aurait donc été sa faute à elle par magie que lui c'était un infidèle (en désir sinon en réussite) à ses vœux de célibat. Idée ignoble. Je me disais mais quelles libertés Victor Hugo se prenait avec un évêque! Avait-il osé de le nommer? Les évêques de Paris, c'étaient quand même des personnes historiques et à partir d'une certaine époque très bien documentés même aux yeux des sceptiques qui gèrent de nos jours les académies (passons sur leur scepticisme quand au début de l'évêché et si St Denys était l'Aréopagite ou qqn d'autre plus tard).
Bon, Claude Frollo n'était pas l'évêque à Notre Dame en 1482. Ni dans la réalité, ni dans le roman même. Ancêtre sans doute d'un autre ecclésiastique louche, le personnage Silas dans un roman de Dan Brown. Mais n'ayant ni postérité, ni ancêtres dans la vie réelle. Dans le roman il était juste archidiacre. Déjà osé - avec un tel archidiacre, que faisait l'évêque? Mais moins, il n'y a pas peut-être une liste tellement complète et publiée des archidiacres à Notre Dame que de ses évêques.
La wikipédie quand à elle avoue sans ambages - et dans l'article sur le roman, et dans celui sur le personnage - que l'homme n'a jamais existé.
Wikipédie française : Notre-Dame de Paris (roman)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Notre-Dame_de_Paris_(roman)
Claude Frollo : lointainement inspiré d'un personnage réel, Claude Frollo est l'archidiacre de Notre-Dame, mû par sa foi et son appétit de savoir. Frollo entretient son frère Jehan, et a recueilli et élevé Quasimodo. Il se trouve par la suite déchiré entre son amour pour Dieu et la passion mêlée de haine qu'il voue à Esmeralda.
Wikipédie française : Claude Frollo
http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Frollo
Victor Hugo fait naître Claude Frollo en 1446, d'une famille de petite noblesse ayant hérité du fief de Tirechappe. Destiné dès l'enfance à l'état ecclésiastique, il fait ses études au collège de Torchi. Élève brillant, il se retrouve à dix-huit ans docteur des quatre facultés, théologie, droit, médecine et arts.
Répétons : "lointainement inspiré d'un personnage réel" - lequel? - donc pas une personne en soi réelle. Et: "Victor Hugo fait naître Claude Frollo en 1446" - donc, sa naissance et tout le reste sont des inventions de Victor Hugo.
Et de la suite, ce pauvre type vient apparemment de faire de la carrière ecclésiastique. En 1831, il avait juste été archidiacre en 1482. Maintenant, apparemment évêque en 1482. Si ça reste en 1482.
Allons à un vrai évêque de Paris, Étienne II Tempier. Il y a eu cinq Étienne sur la chaîre parisienne. Étienne I de Senlis (1123–1141), Étienne II Tempier (qui semble ne pas avoir été Templier ...? 1268–1279, d'ailleurs), Étienne III de Bouret (1319–1325), Étienne IV de Poissy (1362–1373), Étienne (V) de Poncher (1503–1519).
Étienne Tempier, connu également comme Stéphane d'Orléans (mort le 3 septembre 1279), fut chancelier de l'École cathédrale de Paris puis évêque de Paris de 1268 à 1279.
Étienne Tempier a promulgué, le 10 décembre 1270, une première condamnation de 13 propositions philosophiques ou théologiques d'inspiration aristotélicienne ou averroïstes, qu'on peut regrouper sous quatre rubriques : éternité du monde, négation de la providence universelle de Dieu, unicité de l'âme intellective pour tous les hommes (monopsychisme), déterminisme.
Par la suite, l'évêque de Paris a développé sa condamnation, le 7 mars 1277, dans un nouveau décret de 219 articles.
Qui est visé ? des penseurs appartenant à la Faculté des arts de l'Université de Paris, essentiellement Siger de Brabant, Boèce de Dacie, tenants de ce que Renan appelle averroïsme latin et F. Van Steenberghen (1977) aristotélisme radical, doctrines qui semblent plus imaginaires que réelles.
En d'autres mots, en prenant les inverses de ses thèses condamnés, les quatre groupes évoqués dans l'article donne ces positions ci:
- Il soutenait que le fait que le monde et le temps ont un début, c'est vérité de foi et même prouvable en philosophie.
- Il soutenait que chaque chose se trouve considérée par la Providence divine. Donc nulle chose arrive sans être soit voulue, soit au moins toléré par rapport à une ou plusieurs volontés créées, par Dieu.
- Il soutenait que chacun de nous a une âme en propre, nous ne partageons pas une seule raison, chacun a la sienne.
- Nous sommes libres, et pas seulement nos décisions, mais aussi d'autre événements voulus ou tolérés par Dieu, qui ont donc lieu, sont libre de détermination causale, ne sont pas des simples résultats de quelque causalité incessante qui se déroule automatiquement depuis l'éternité.
C'est un peu plus sain comme préoccupation et comme position que ce que disait, pensait et faisait Claude Frollo dans le roman, non?
St Thomas est avec lui en tout ça, sauf que lui il pensait que l'éternité du monde aurait été tout juste possible, Dieu aurait pu créer le monde ainsi et il nous n'aurait pas donné de signe irréfutable, hormis la Genèse et la Bible, de ne pas avoir fait ainsi. Pour Étienne Tempier, comme pour St Bonaventure, nous pouvons, même sans la révélation, savoir que ce n'est pas ça que Dieu a fait.
J'ajoute un peu. Quand j'ai voulu avoir la liste de 219 thèses condamnées, je les ai trouvées dans la publication de David Piché, à laquelle se réfère l'article wikipedia.*** Mais dedans j'ai appris aussi qu'il y a eu des livres entiers condamnés en 1277. Dont un qui n'avait rien à voir avec les 219 thèses, si ma mémoire ne me trompe pas. De Amore par André le Chapelain. Mais pour le pouvoir condamner, il doit l'avoir lu. Il a beau pu y trouver une incitation à la charnalité, il est impossible qu'il y ait trouvé de la sorcellerie. Il est impossible que notre Étienne Tempier ait pu jouer un rôle tel que celui de Claude Frollo.
Mais je vous ai promis deux évêques dans le titre et Claude Frollo n'était pas un évêque? Non, mais en 1482, Paris avait pourtant un évêque qui s'absente dans le roman.
Louis de Beaumont de la Forêt - 1473–1492.
La wikipédie allemande ne donne presque pas d'articles sur les évêques. La wikipédie française en donne pour ses prédécesseurs - depuis le début du siècle, sauf le premier:
1384-1409 | Pierre II d'Orgemont (pas d'article) | Ancien évêque de Thérouanne |
1409-1420 | Gérard de Montaigu | Ancien évêque de Poitiers |
1420-1421 | Jean [II] Courtecuisse | |
1421-1422 | Jean III de La Rochetaillée | |
1423-1426 | Jean IV de Nant, dit de Vienne | Ancien archevêque de Vienne |
1427-1438 | Jacques du Chastelier (Châtelier) | |
1439-1447 | Denis du Moulin | |
1447-1472 | Guillaume Chartier |
Et pour ses successeurs, sauf un, jusqu'à l'élévation de Paris en archevêché:
1492-1492 | Gérard Gobaille | |
1492-1502 | Jean-Simon de Champigny | |
1503-1519 | Étienne Poncher | Ensuite archevêque de Sens |
1519-1532 | François Poncher | |
1532-1541 | Jean du Bellay | Cardinal |
1551-1563 | Eustache du Bellay | |
1564-1568 | Guillaume Viole (pas d'article) | |
1573-1598 | Pierre de Gondi | Cardinal. Ancien évêque de Langres |
1598-1622 | Henri de Gondi | Cardinal |
Pas d'articles sur Pierre d'Orgement, sur Louis de Beaumont de la Forêt, ou sur Guillaume Viole.
Hmmm, seraient-ce des gens très peux interessants?
Quand à Louis de Beaumont de la Forêt, je ne le crois pas. Il y a un article sur son père:
Wikipédie française : Louis II de Beaumont-Bressuire
http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_II_de_Beaumont-Bressuire
En 1440, il épousa Jeanne, Dame de la Forêt et de Commequiers. Ils eurent trois enfants, Thibaut, Catherine et Louis de Beaumont la Forêt, évêque de Paris (1473-1492).
Sur le nom de ce fils, il y a un lien valable - vers la liste des évêques. Dans celle-ci, pas de lien valable envers son article à lui. Pas d'article.
Mais regardons un peu: il était évêque entre 1473 et 1492, donc en l'an 1482. Donc à l'époque quand se déroule le roman du célébrissime Victor Hugo. Un article sur ses vrais exploits pourrait peut-être faire ombre à la réputation de cet écrivain d'avoir écrit honnêtement. Car la vraie carrière de Louis de Beaumont de la Forêt pourrait avoir été telle que celle imaginaire de Claude Frollo était impossible sous lui. Ce que certains intérêts anticléricaux chercheraient plutôt à offusquer.
Hans Georg Lundahl
BU Nanterre / Paris X
Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus
et de la Sainte Face
3-X-2014
* Φιλολoγικά/Philologica : Non, Noël ne "coincide pas plus ou moins" avec les Saturnalies! (et Toussaints n'est pas Samhain, voir commentaires)
http://filolohika.blogspot.com/2009/09/non-noel-ne-coincide-pas-plus-ou-moins.html
** Auparavant j'ai eu deux autres, que j'ai laissés pleins de messages, et que je ne voulais pas remplir davantage, par peur de surcharger la récherche d'un message sur chaque blog:
deretour
http://hglundahlsblog.blogspot.com
Triviū, Quadriviū, 7 cætera
http://triv7quadriv.blogspot.com
*** La voici:
La Condamnation parisienne de 1277
Texte latin, traduction, introduction et commentaire par D. Piché
http://books.google.fr/books?id=XsyvjpPKfvYC&printsec=frontcover&dq=%C3%89tienne+Tempier&source=bl&ots=4-_Vx-pOju&sig=2izxWFX9FsCZ6ifEdjjlJQFxd1E&hl=fr#v=onepage&q&f=true
Le texte latin se trouve en deux versions, l'une où il met sa traduction sur la page en face, l'autre en latin seulement et divisé en chapitres selon les thématiques. J'ai recopié cette deuxième, en latin seul (le texte n'est pas en soi de Piché, mais de Tempier, et aussi dans sa rédaction par un compilateur probablement anglais - car le titre est Collectio errorum in Anglia et Parisius Condempnatorum qui sic per capitula distinguuntur. J'ai copié ces chapitres systématiques avec mes propres notes:
En lengua romance en Antimodernism y de mis caminaciones : Index in stephani tempier condempnationes
http://enfrancaissurantimodernism.blogspot.com/2012/01/index-in-stephani-tempier.html
ReplyDeletePuisque quand on définie le Moyen Âge, une de ses fins ait été l'an 1492, la Chute de Grenade et la découverte de Christophe Colomb, on peut considérer que l'an du roman ait pu être choisi comme "dix ans avant les temps modernes" ou "tout derniers ans du Moyen Âge" - n'empêche, l'époque est un peu trop bien documentée (quoique c'était moins généralement connu en 1831 que depuis les années 1970') pour qu'on puisse se permettre des tels balivernes sans risque d'être contredit.