Je ne sais pas s'il y a, derrière mon dos, des gens gens qui tiennent contre moi le fait précis (il y a des gens qui derrière mon dos tiennent quelques faits!) de lire et d'aimer Tolkien, et ça pour ce fait précis et selon un principe qui donnent ensemble un syllogisme, dont le seul défaut est la quaternion des termes :
« La glossolalie des pentécôtistes est condamnable, car « la langue du ciel » n'est pas une langue, c'est du charabia.
Or, Tolkien a inventé des langues. Donc, Tolkien est condamnable à même titre que les pentécôtistes. » |
Peut-être ce cas contre les pentécôtistes est erroné. Peut-être le cas parallèle contre des charismatiques catholiques est erroné : j'ai entendu ma mère dire que des charismatiques en glossolalie ont dit des choses qui étaient compréhensibles pour des gens à côté qui parlaient ces langues, pas apprises par les « glossolaliants ». Ici ce qui m'importe n'est pas ça, mais si le principe derrière puisse être appliqué contre Tolkien. Et la réponse est un très clair non.
Le simple fait est : inventer des langues et faire de la glossolalie non-linguistique n'est pas du tout la même chose.
Le bon terme de comparaison pour les langues de Tolkien, ce ne sont pas les pentécôtistes (à supppser que le cas contre eux soit juste, même), le bon terme de comparaison, c'est Louis Zamenhoff – ou encore les réconstructeurs de l'indoeuropéen primitif.
L'un a fait une langue construite pour ce qu'il qu'il considèrait comme un but moral, à savoir faciliter l'intercompréhension des gens, sans qu'ils eussent à se mettre sur pied d'inégalité, d'infériorité de la plupart, en apprenant la langue commune d'un peuple qui la parle déjà.
Les autres ont fait des langues différentes censés chacune être la bonne reconstruction de la langue perdue dans l'intégralité par les changements surtout phonétiques et morphologiques, aussi souvent syntactiques, mais partiellement préservée par les parleurs dont les langues sont chacune censées être plus ou moins purement le résultat de ces changements. L'anglais wheel avec le suédois hjul, le grec kuklos, le sanscrit çakra (signification dans toutes les langues, y compris signification de base en sanscrit : roue) – on a reconstruit par exemple qweqwlom pour la langue primtive, mais ce n'est pas la première reconstruction. La blague des philologues est « la langue qui changeait le plus vite des années 1870, c'est le proto-indo-européen. » Il s'agit donc de diverses langues construites pour le but censé scientifique d'être la bonne reconstruction d'une langue mère perdue et à reconstruir à partir des langues filles.
Et celui qui nous concerne a fait une langue construite pour ce qu'il considérait comme un but artistique. D'abord la langue en elle-même. Il aimait déjà les grammaires et surtout lexiques de l'espagnol, du gothique, du gallois, du finnois, du grec ancien – et à un moment donné il a voulu se procurer le même plaisir linguistique en construisant des langues avec phonétisme apparenté. Le Naffarin basé sur l'espagnol très librement ne concerne que ce but artistique ci.
Ensuite, il avait aimé lire l'Odyssée et la Kalevala, ainsi que l'Énéide, il se mettait à écrire des poëmes dans les langues qu'il avait construites. Et d'écrire l'arrière-fonds de ces poëmes. Et d'écrire des poëmes en anglais et en vieil-anglais dessus aussi.
Un thème qui le suivait très tôt, c'était celui des terres engloutis, de l'Atlantide, si on veut. Or, si l'Atlantide est douteuse comme histoire factuelle (avant ou après le Déluge de Noé ? Ou simplement une épisode pendant?), et si l'Atlantide a été exploitée comme thème par les ésotériques (notemment Edgar Cayce), Tolkien va faire de ses propres histoires fabulées sur le thème quasiment une méditation sur Matthieu 24 « comme dans les jours de Noé ». C'est une perspective qui reviendra en d'autres de ses fables aussi. Mais déjà elle y est dans le poëme Markirya - « le dernier vaisseau » qu'il a écrit dans son Quenya, en deux versions, dont une très tôt, l'autre après qu'il avait changé sa conception sur les lexiques et même grammaire de cette langue.
Mais je me précipite déjà. Restons sur le thème des langues, et sur la moralité derrière l'invention des langues.
Zamenhoff – n'était-il pas coupable de vouloir contrefaire le miracle de Pentécôte ? Pas tout à fait. Alors des médecins qui cherchent des guérisons naturelles seraient coupables de vouloir contrefaire les guérisons miraculeuses de Notre Seigneur. Il ne le sont évidemment pas. Même plus : parfois elles mettent en avant le caractère miraculeux des guérisons de l'Évangile. Guérir la lèpre est devenu possible – mais la cure est dure, et cette cure dure, elle dure six mois. Que la lèpre ait été guéri par Notre Seigneur avec un mot : « volo, mundari » ressort comme davantage miraculeux maintenant qu'on sait comment les médecins font pour guérir la maladie de Hansen.
Donc, Zamenhoff n'était pas coupable de vouloir contrefaire le miracle de Pentécôte. À la limite, il peut avoir eu quelque défaut en ce qu'il ne se contente pas du Latin, ce que l'Église avait fait quasi dans le même genre – à base d'une langue naturelle, mais pas totalement identique avec celle-ci (dessus, Dante était meilleur linguiste que Pape St Pie X).
Et Tolkien de ce bord ? Quelle était sa loyauté vis-à-vis le Latin ? Il trouvait le Latin « trop normal » pour lui procurer directement un plaisir linguistique comparable à ce qu'il trouvait dans le Finnois ou le Grec. Pour lui, le Latin était du pain ordinaire – satisfaisant, mais pas très piquant. En d'autres mots, il écoutait le finnois, le gallois, le gothique, l'espagnol et le grec ainsi que ses propres langues construites avec une oreille de latin. Autant qu'avec une oreille anglaise ou légèrement afrikaans. Si les phonèmes du Quenya et du Sindarin diffèrent du Latin (dans les deux il y a des diphthongues autres que au et ui qui le sont réellement, pas juste en orthographe, dans le Quenya il y a les x [ks] et les ps rappelant le grec, dans le Sindarin les ach-laut et les thorn - [χ] et [þ] dans l'IPA - et encore une fois, dans les deux il y a d'autres voyelles brèves entre tonique et finale que -e-/-o- devant r, -u- devant labiale, -i- autre part, dans les deux k et gué dur existent devant voyelle antérieure, et leur remplaçants en cette position en latin, le tch et le dj n'y existent pas), en revanche il les accentuait, les deux langues, selon la règle d'accentuation latine. Celle de la seule syllabe des mots lexicales accentuée, le première des mots disyllabes, et dans les tri- ou polysyllabes la pénultième si longue (par voyelle longue, par diphthongue ou « positione »), et si la pénultième était brève (voyelle brève devant hiatus ou seule consonne ou même muta cum liquida), alors l'accent sur l'antépénultième. Seulement l'exception avec une syllabe normalement finale accentuée devant un mot enclitique, même si la vraie finale ne donne pas position, par exemple, non seulement populúsque, mais même nautáque (nominatif, non ablatif), seulement cette exception là, le Quenya comme le Sindarin le manquent.
Il les respirait sur le latin, même s'il les articulait sur des autres bases. Il ne peut donc pas du tout compter comme latinophobe.
Je ne vais pas ennuyer des lecteurs adverses de Tolkien (et ceci est pour eux) en énumérant les autres aspects linguistiques en détail. Que Tolkien ait utilisé des mots des langues existantes, pourvu que rares*, ou qu'il en ait fait des calembours**, ça n'empêche en rien qu'il ait fait des mots tout simplement inventés, quasi pour satisfaire en son oreille les exigences d'une langue qui selon le dialogue Kratylos serait « naturelle » plutôt que « conventionelle ». Une langue dans laquelle les mots, au maximum possible, et compte ténu de l'euphonie totale qui prime sur la mocheté de certains conceptes, sonnent de manière que la signification ne soit pas une surprise étrange. Tolkien considérait les langues comme inégales dans ce respect, le gallois par exemple supérieur à l'anglais.
Il n'y a pas des linguistes pour la glossolalie pentécotiste (qu'il devait y avoir ou pas, c'est pas à mon propos), mais il y en a pour les langues inventées par Tolkien*** et ceci pas juste à titre d'amateurs.
Pour les trois films de Peter Jackson (et peut-être pour Le Hobbit aussi? oui!) on a fait appel à eux, comme à David Salo (c'était lui pour les deux séries de films).
Mais, il y en a des gens qui perdent, que ce soit ceci ou que ce soit simplement la beauté des langues tolkieniennes.
S'ils n'aiment pas le son de Quenya (et quel genre de goût serait-ce qui le déteste?), ou s'ils se méfient de la beauté et du plaisir (cette méfiance étant une capacité prisée par Tolkien, mais il me semble malplacée ici), ils ne comprennent pas très bien qu'un autre puisse trouver précisément du plaisir et ce plaisir innocent dans les lieu-dits et noms personnels en Sindarin, ou parfois un poëme en Quenya.
Ils regardent celui qui y trouve plaisir pas comme s'il trouvait du plaisir en regardant une belle peinture (d'avant ou d'à côté de l'art dit moderne ou contemporain), et parfois même pas comme quelqu'un qui trouve du plaisir en regardant une peinture niaise (s'il trouve lui-même la peinture niaise, il va, même en ayant tort, trouver celui qui y trouve plaisir comme quelqu'un qui trouve plaisir dans une peinture niaise), mais comme s'il s'étonnait comme d'un miracle, comme s'il risquait d'admirer un faux miracle, et de là, la comparaison avec des pentécôtistes et leur glossolalie, selon ce qu'on soupçonne. Et cette comparaison est en revanche quelque chose que moi, je soupçonne (ou je me souviens à moitié d'un article lu il y a longtemps).
Et, parmi ceux (si mon soupçon est correct), il y en a qui prennent aussi l'impatience des fans vis-à-vis leur triste et lourde confusion de catégories pour l'aveuglement d'un dupe. Je n'aime pas m'approfondir dans ce marais de pensée puritaine. Disons, l'erreur de ce genre de bien-pensants ne leur confère aucun droit sur les gens de bon goût - c'est à dire du bon goût tolkienien.
Ils ont même sans cette erreur bien-sûr le droit de s'abstenir de lire Tolkien. Ils n'ont pas le droit de calomnier les lecteurs de Tolkien, d'utiliser leurs réseaux pour répandre une méfiance vis-à-vis les lecteurs de Tolkien, d'utiliser le médium de lettre confidentielle pour que le concerné ou les concernés ne puissent pas avoir l'occasion de se défendre.
Ni le droit de se faire battre dans un débat dessus, le peu qu'il argumentent, de retenir des arguments en réserve qu'ils n'exposent pas au débat, et de les retenir en réserve contre celui qui les vainc en arguments.
Ceci aussi peut être irréprochable devant une cour de justice, car difficile à prouver, car pratiqué de tellement de bords de nos jours, avec la « responsabilité » augmentée et la franchise réduite (ainsi que les autres devoirs envers le prochain qui lui confèrent des droits), mais ce n'est pas irréprochable moralement. Ce n'est pas un droit moral.
Par contre, s'ils n'aiment pas Tolkien, ses romans, laissons-les. Toute justice du droit d'aimer une œuvre d'art ne confère à un autre en rien un devoir de l'aimer, tout le talent sous-jacent à une œuvre d'art ne constitue pas sa beauté, n'a été en fin du compte que l'occasion pour sa beauté. Avec les mêmes talent et un autre goût, Tolkien avait pu achever quelque chose de moche. Donc, le talent non plus pour indéniable qu'il soit ne peut en rien exiger l'appréciation. Picasso a montré du talent avec ses périodes rose et bleue, ça n'exige pas qu'on apprécie son cubisme.° Joyce a montré du talent, mais on peut trouver son Ulysses de mauvais goût et son Finnegans Wake trop peu unifié et son Portrait of the Artist as a Young Man trop égocentrique et surtout trop impie pour le goûter (Tolkien se gardait de ces défauts!).
Et je n'écris pas pour ceux seuls qui apprécient Tolkien. Quoique je les favorise.
On n'a pas besoin d'avoir lu, ni d'avoir aimé si on a lu ces romans pour comprendre des propos tirés pour illustration de là comme « le droit et le tort, le bien et le mal, est identiques entre elfes et hommes, ni y a-t-il de différence entre hier et aujourd'hui » ou « il a mérité de mourir - soit. Pas mal de ceux qui méritent de vivre sont morts. Tu peux leur redonner la vie? Sinon, ne sois pas trop avide de donner la mort ». Ou des références par résumé de tel ou tel aspect de l'action.
Encore moins a-t-on besoin d'avoir lu Tolkien pour comprendre, ce qu'il m'est arrivé à dire, que les langues reconstruites présumées mortes après avoir vécu, tel le proto-indo-européen, ne sont pas des faits empiriques, elles sont des constructions en fin de compte pas trop différents des langues tolkieniennes.
Hans Georg Lundahl
BU de Nanterre/Paris X
St Henri du Saint-Empire°°
15-VII-2015
* Ranka en Q pour main/bras vient du lithuanien, alf en S pour cygne vient de l'icelandais álft, et ensuite JRRT analyse le S alf en alf de l'intermédiare alfa/alp de Télérin alpa (car Sindarin est une variante du Télérin, comme Gallois du Britannique antique) de Quendic Commun alqua préservé en Q. Pé est l'Hébreu et le Q pour bouche.
** Mae govannen = S pour « tu es bien rencontré », mais aussi - il me semble en d'autre orthographe, f pour v - gallois pour « il est forgeron », d'après la légère superstition que ça porte bonheur d'en rencontrer un (« vous êtes le bien rencontré » serait mae lovannen, sans calembours avec les forgerons du pays de Galles). Puisque Celebrimbor, « poing d'argent » est en Q Telperinquare, il y a les deux calembours sur « poing » : [por mais après m] bor = S pour « poing », anglais pour « type ennuyeux », quare = Q pour « poing", latin pour « pourquoi ». En d'autres termes, la bagarre à poings [bor/quare en S/Q] se fait par des types ennuyeux [bores en anglais], et on se demande pourquoi [quare en Latin].
*** Et pourquoi pas, quand il y en a pour la langue inventée et souvent réinventée, le proto-indo-européen?
° Le talent pour dessin et aquarelle est à peu près égale chez Tolkien et chez Joann Sfar, les deux simplifient les traits à dessiner sous une panoplie un peu reduite de traits de la plume, je crois que le niveau technique est égal. À la limite Tolkien s'abstient des figures humaines car conscient d'un limitation. Mais non, regardons, les figures en Father Christmas Letters. Mais c'est Tolkien qui a le meilleur goût, Joann Sfar mochifie les choses, et pas juste les trolls.
°° Le martyrologue dit Henri Premier, mais comme je me souvenais d'ailleurs, il est de nos jours communément, selon la wikipédie, compté comme Henri II.
No comments:
Post a Comment