Un soir devant Georges Pompidou j'ai une conversation. Une interlocutrice demande sur la position de la femme au Moyen Âge précisément en rélation avec la Chasse aux Sorcières. J'y reviendrais quand j'aurais le temps de traduire les textes espagnols en français sur ce blog. Ici il s'agit plutôt de ce que l'interlocuteur vient de lancer:
a) la tradition orale antécède la tradition écrite. b) elle n'est pas fiable, car fonctionne comme le téléphone arabe. |
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Un Catholique peut concéder que la tradition écrite est postérieure à la tradition orale sans lâcher la fiabilité. Mais on n'est pas obligé de concéder que l'écriture est très postérieure à la tradition orale non plus. Biensûr, si Adam a raconté à Ève comment les choses étaient avec la créature d'animaux qu'il devait nommer, avec le fatigue, on croit bien qu'il l'ait fait oralement. Mais combien postérieure à ça est-ce qu'on peut placer l'écriture? A-t-elle été inventé par Adam à la vue du premier mort, d'Abel, quand il se rendait compte qu'un homme pourrait mourir sans avoir eu l'occasion de transmettre ses savoirs essentiels oralement? A-t-elle été inventé par Hénoch pour rendre une histoire plus longue que les morceaux dans laquelle sont transmis dès le début la Genèse aussi retenable? A-t-elle été inventé par Moïse ou est-ce qu'il a juste inventé les lettres Hébreux, après que d'autres systèmes d'écriture existaient en avance? A-t-elle été inventé avant ou après le Déluge par une administration? J'ignore.
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| Je sais que la tradition orale a pu être nécessaire et seule à transmettre le savoir pendant quelque temps, même si je ne sais pas combien. Reste à prouver qu'elle est fiable.
Mon hôte - car il était hospitable, quoique un peu à la domination intellectuelle retenue - m'a demandé de prouver comment la tradition orale pouvait être fiable. Mon premier example, on apprend les chansons par cœur - je citais quelque lignes de la Marseillaise, tout en qualifiant que j'étais plutôt pour la Vendée - et j'aurais pu aussi bien citer une strophe entière de mon propre hymne "Du gamla du friska, du fjellhöga Nord..." (quoique le mot de lyrisme de nature, "friska", fraîche, a été depuis échangé par le mot à connotations politiques, "fria", libre, démenti par notre système social) ou la première strophe de Nibelungenlied. Elle est dans la langue allemande du 13e. ou peut-être juste 12e. Siècle. | ||
Et c'est même oralement que j'ai appris deux chansons de l'Armée du Salut, en français, comme petit écolier. Depuis ma conversion catholique et même avant, j'ai perdu par manque d'entretien. Sauf le refrain "avec vous". Mais si j'avais eu une enfance moins mouvementée, plus paisible, et dans la même religion, j'aurais pu retenir aussi toute la première strophe de "blanc, plus blanc que neige" sans omettre le refrain. Et c'est un moment où les non-conformistes suédois (protestants radicaux, révivalistes, donc) s'approchent du Culte du Sacre Cœur, je crois que je l'ai appris d'un disque grammophone.
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Milman Perry a montré que la Bataille de Kosovo Polje se récite de nos jours par des chanteurs-poëtes de la Serbie et de Monténégro d'une manière uniforme, d'une extendue de lignes comparable à l'Iliade ou à l'Odyssée, transmission orale parce qu'avant le Communisme le peuple étaient analphabètes, et que les détailles vérifiables par recours aux sources écrites vérifie plutôt que falsifie ce qu'on chantait depuis six siècles. |
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La procédure d'une fabrication peut se transmettre oralement de manière versifiée:
L'Hymne à Ninkasi est composé de deux chansons gravées sur des tablettes d’argile datées du XVIIIe siècle av. J.-C. Ces tablettes sont connues depuis la première moitié du XXe siècle mais les deux premières tentatives de traduction n'étaient pas satisfaisantes. Le professeur Miguel Civil en a proposé une nouvelle, en anglais, en 1991. La première chanson décrit étape par étape le processus de brassage de la bière sumérienne. La seconde décrit les récipients dans lesquels la bière est brassée puis servie. Le tout étant effectué par la déesse elle-même1,2.
En 1988, les brasseurs de l’Anchor Brewing Company, une microbrasserie californienne, sont entrés en contact avec Solomon Katz, professeur à l’université de Pennsylvanie, dont une publication les avait intrigués. Sa théorie est que les nomades se sont sédentarisés pour cultiver de l’orge non pas pour cuire du pain mais pour brasser de la bière. Ensemble, ils ont essayé de brasser de la bière comme elle devait l’être à l’époque. Après un premier essai en août 1989, ils ont décidé de se baser essentiellement sur l’Hymne à Ninkasi, aidés du professeur Miguel Civil pour sa traduction. Dans l'interprétation qu'ils en ont faite, ils brassent à partir de pain « bappir », pain cuit deux fois pour qu'il soit bien sec et se conserve bien, et composé d'orge, d'orge grillé, d'orge malté et de miel. Ils ajoutent un sirop de dattes à la fin de l'infusion puis une levure de fermentation haute. Par contre, le houblon, inconnu à l'époque, n'entre pas dans la recette3.
Pourquoi oralement? Ce sont quand même des tablettes d'argile avec des cunéiformes qu'on vient de trouver avant de faire une bière en Californie, c'est de l'écriture, non? Bon, ce sont aussi des vers, donc des choses faciles à retenir, à figer dans la mémoire. Et le cunéiforme était une écriture pour des spécialistes, selon ce qu'on admet généralement. Donc, il semble les brasseurs aient pu apprendre cette hymne et cette recette de fabrication de bière oralement plutôt que par écriture. Ce semble d'ailleurs être la même recette que pour le "sicera" biblique. Pain sur l'eau au début. Mélange avec des dattes. Pas d'houblon. On en a le cidre qui en porte le nom car "cisera"[="sicera"]="ciðra". Les dattes ont été remplacées par des pommes, et le pain a été omis. Le hlebowy kwas de Pologne est le contraire, pain sur l'eau mais sans les dattes.
Je donne un deuxième example. On n'accède à la tradition écrite que par la tradition orale.
Je montrait la forme de la lettre A dans la main. Je disait que c'est par la tradition orale que je sais qu'elle se prononce [a:] (je prononçais donc un A).
Il répliquait que l'on pourrait apprendre l'écriture sans la tradition orale. Comment?
Il donnait deux méthodes:
a) en apprenant un psaume par cœur et ouvrant la page de la Bible dans laquelle on retrouve ce psaume.
b) en lisant deux livres avec le même contenu, dont un dans une langue qu'on connaissait, l'autre dans une langue qu'on voulait apprendre.
Ma réponse:
a) en apprenant le psaume par cœur on a déjà eu recours à la tradition orale. Ceci vaut évidemment aussi par voie de grammophone.
b) en apprenant le suédois dans la seule écriture à partir du français, on n'apprend pas le suédois, on apprend l'écriture suédoise prononcée à la française, évidemment autre chose.
Pour clarifier ce point, rien qu'un exemple tiré du français, je fais des extensions pour les lecteurs:
En français moderne, il y a une prononciation modern [ser] qui est en écriture déguisé en français ancien: < serre, serf, cerf >.
Avant les vœux de Strassbourg, (où le roi de la Francie majoritairement francophone jure en allemand et celui de la Francie majoritairement germanophone en français), la prononciation de l'ancien français était déguisé en latin:
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Est-ce la même langue que le latin? Voire en bas. Ce n'est de toute manière pas intercompréhensible avec ceux parmi le côté allemand qui ont appris la langue latine comme une langue étrangère et livresque. Surtout qui n'avaient pas eu de retenu d'adopter la nouvelle prononciation du latin importé par Alcuin, car elle facilite la prononciation liturgique et diplomatique. D'où donc l'importance pour qu'un roi grandi parmi eux puisse être compris du côté français d'une autre orthographe qui dépicte mieux la prononciation française. | ||||||||||||||||
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Mais soyons clairs: chaque prononciation du latin, celle d'Alcuin, conservatrice et phonétique à la lettre, celle d'avant, celle des français, celle qui était fautive, reposait dans sa transmission sur la tradition orale.
Apprendre un suédois ou un moyen allemand à partir d'un livre sans l'aide de la tradition orale ou d'une instruction écrite qui fait référence à la language qu'on connaît par tradition orale, c'est quasi impossible. Je prononce la langue allemande de Nibelungenlied à partir de trois donnés: les valeurs des lettres en allemand moderne, les instructions reçus par écrit sur les différences de prononciation, le rhytme du vers. "Klagen" et "sagen" doivent avoir eu une prononciation avec un A bref, à différence de l'allemand moderne, car les mots se trouvent à une place normalement réservée pour monosyllabes. "Diu groze rose" ne rime pas plus que "die große Rose" dans les dialectes qui différencient les sibilants doux au milieu d'un mot, comme par exemple "rose/Rose". Je donne donc à "Rose" la prononciation de l'Allemagne du Nord ou peut-être même de l'Allemagne du Sud, avec une sibilante forte. Pour "groze" j'opte plutôt pour [groots@] que pour [grooç@], car le moyen allemand utilise la même lettre "z" que pour le début de la deuxième partie de "hochgezîten" [h'oc'h-g@-tsii-t@n] qu'on reconnaît de l'allemand moderne "Hochzeiten" [h'oc'h-tsèï-t@n]. En allemand moderne, comme je connais son écriture par tradition orale, "große" [grooç@] n'a pas la même lettre que "Hochzeiten". Et pas non plus la même prononciation. Je présume une symmétrie qui reviendrait idéalement dans le moyen allemand. Mais le moyen allemand à partir de l'allemand moderne, c'est quand même faisable. En plus, morte en tant que tel, il est reconstruit par des savants et s'utilise dans sa réconstruction par des savants. On risque d'avoir tort, mais pas beaucoup. C'est comme suédois à partir du danois ou du norvégien. Par contre, suédois à partir du seul français, c'est moins une langue reconnaissable que le ...
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Par rapport à ... Vous savez déjà ... | |||||||||||
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Pour prendre un exemple éclatant, avec un décalage de prononciation comme ça, on risque de perdre la métrique écrite dans une autre langue. Concrètement autre. Même si elle est idéalement la même. Le Grec n'a jamais changé d'orthographe officiellement entre Alexandre le Grand et 1970. Avant, il n'a pas fait le pas que le français à fait entre Alcuin et les Serments de Strassbourg.* Mais il a bien changé la prononciation, quelques fois, entre autres choses, comme en Latin en voie vers le Roman, les voyelles perdent les quantités longues et brèves. L'hexamètre classique est la base du "vers politique". Mais les mètres sont distincts. Celui qui a la prononciation moderne va reconnaître certains hexamètres comme "vers politiques" (de quinze ou seize syllabes, avec des pauses choisis en avance) et d'autres comme aberrants. Mais il ne risque pas de retrouver spontanément le rythme dactylique de l'hexamètre. Qui de son côté suppose que le premiers mots de l'Iliade se prononcent [mèè-nin a-éï-dé], cinque syllabes, la première et quatrième longues, et non pas [mi-nin aï-dé], la troisième longue, autrefois composée de deux courtes [a-i] en hiatus.
Ai-je trahi mon propos? Je ne crois pas. Si la tradition orale change à propos une langue, en revanche elle ne change pas de manière d'exclure finalement de la tradition compréhensible ce qu'on doit retenir, ou non pas si souvent. À moins de changer volontairement.
Même plus. Tant que le paganisme grec a valorisé tellement Homère, on a pu retenir la tradition pour réciter correctement l'Iliade et l'Odyssé. Les changements de quantité vocalique viennent après le début de l'ère chrétienne, dans les deux langues de l'Empire.
Si on parle de la tradition d'Adam et de Noé, un Chrétien cohérent ne croit pas que les Païens aient retenu la tradition en forme exacte. Mais on ne croit pas non plus qu'on ait changé beaucoup sauf:
a) involontairement, à propos la prononciation, à Babel
b) volontairement, en introduisant, peu à peu, des déviations théologiques, païennes.
Un peu comme les sectes protestantes, même avec tradition écrite, ont changé peu en peu, le contenu de leur Christianisme tel que les Réformateurs l'ont gardé, même après la Réforme, à partir de l'héritage catholique. Ces changements là sont volontaires et de mauvaise foi. Car à mainte occasion on aurait dû se rendre compte que la réforme était faussé du début, et on l'a évité en ajoutant encore une couche de changements. Comme, pour revenir au propos du début, les traditions païennes.
Les changements de prononciation ne viennent pas subitement, ni sans ce qu'on se rende compte. Quand dans le latin de la Francie on commençait à s'approcher du point où "solem" et "solum" avaient le même son, la dernière syllabe ou ses rélictes comme la première, on changeait "solem" en "soliculum", d'où le français "soleil". Les Italiens et Castillans ont gardé les sons distincts, on ne chante pas "cara al solejo" mais "cara al sol" et non pas "solicchio mio" mais "o sole mio". Mais notre "soleil" correspond à un "soliculum" qui aurait donné "solejo" et "solicchio". Comme notre "sol" correspond a leur "suelo" et "suolo", donc à des formes qui diffèrent suffisamment de "sol", "sole". Si un changement de prononciation menace de changer un morceau appris par cœur dans telle ou telle tradition, on peut prévoir et prévenir.
La tradition orale, à différence des rumeurs qui se font vite à propos de quelque personne souvent flatté ou démonisé outre mesure pendant qu'on le côtoie, n'a donc rien d'une téléphone arabe.
Et finalement les morceaux de la Genèse d'avant Abraham sont assez courtes pour qu'on les ait pu apprendre par cœur.
L'utilité qu'on a dans l'apprentissage par cœur des sons peut avoir provoqué l'invention des alphabets par dessins des choses très connues associables par le son à ce qu'on veut apprendre par cœur.
Avant le Déluge, les temps qu'ont vécus les hommes ont aussi permis de mettre plus qu'une génération ou deux dans la mesure d'avoir écouté directement Adam, ou Seth ... j'imagine possible que le récit de la généalogie kaïnite a pu être transmise par un réfugié de Nod parmi les Séthites, ce qui expliquerait, si c'est le cas, pourquoi on n'a pas dix patriarches kaïnites comme on l'a parmi les Séthites, sans recourir à une plus longue durée de vie pour les Kaïnites.
Hans-Georg Lundahl
BU de Nanterre
Ste Mathilde,
Reine d'Allemagne
14-III-2014
* Dans le VIIIe. S. on avait remarqué que l'orthographe latine prononcée à la française donnait un son ambigu par rapport à d'autres latinistes. Ce n'était plus la même langue. Premier souci, sauver la liturgie: Alcuin vient de York pour donner une nouvelle prononciation latine à la Francie. Deuxième souci: avec la nouvelle prononciation, le peuple cesse de comprendre l'évangile. Le Concile de Tours demande que le prêtre traduise l'évangile, après l'avoir lu, en "linguam romanam rusticam". On est en 813. Pour ce faire, les prêtres peuvent avoir utilisé la vieille orthographe dans la vieille prononciation, une certaine génération, en faisant un choix de mots qui marquait que la prononciation indigène était souhaitable. Une autre génération qui apprend vraiment le latin avec la prononciation d'Alcuin ( < servum > = [ser-vum] et non pas [ser-vu~] ) trouve peut-être plus pratique d'appliquer le même rapport entre lettre et son à la prononciation française, mais je dis peut-être parce que ce n'est pas préservé. Troisième souci, la noblesse de la côté allemande (ou majoritairement telle) comprend le latin d'Alcuin, peut-être, mais pas du tout à moins de vivre à la frontière la prononciation française. Ça devient important à une occasion. "Les serments de Strasbourg (Sacramenta Argentariae), datant du 14 février 842, signent l'alliance militaire entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, contre leur frère aîné, Lothaire Ier. Ils sont tous trois les fils de Louis le Pieux, fils de Charlemagne." On utilise le rapport entre lettre et son dans la prononciation latine d'Alcuin comme une forme d'API (Alphabet Phonétique International), sauf que cette écriture ci a des lettres distincts pour des sons comme é, è, e féminin et ainsi de suite, pour sin et shin, tandis que l'alphabet latin d'Alcuin est une approximation des prononciations non-latines, non-liturgiques. Donc, on a pour la première fois un document bilingue franco-allemand, mais attention, ça ne donne pas du tout immédiatement une littérature française dans ce style, et si le vieil allemand avait une littérature, elle est différente du moyen allemand.
Pourquoi "serra" plutôt que "serram"? Bien, si les formes françaises de la plupart des masculins viennent des formes accusatives, en revanche celles-ci ont perdu la nasalité. Ce qui dans la première déclinaison donnerait un rapprochement de l'accusatif au nominatif.
< serra, serram > prononcé [ser-ra, ser-ra~] > [ser-ra = ser-ra]. Dans le masculin on peut perdre la nasalité de l'accusatif sans s'approcher du nominatif, jusqu'au français: < servus, servum > [servus, servu~] > [servus, servu] > [servos, servo] > [sers, serf]. |
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